La presse imprimée a pris un coup de vieux ces derniers temps. Le jeunôt qu’est l’Internet bouscule la grande dame et semble prendre toute la place, tout à fait comme ces garçons dans la vingtaine qui s’obstinent à embarquer dans le metro avant tout le monde. Vous les connaissez. Ceux qui se précipitent vers les sièges libres, et qu’on voit, bien installés, le nez dans un bouquin ou écoutant leurs iPod les yeux fermés afin d’éviter de croiser le regard des têtes grises. Ces gens ‘d’un certain âge’ qui doivent alors maintenir l’équilibre avec difficulté debout dans le wagon en mouvement, les pieds enflés, les veines varicosées et les mains plissées accrochées au poteau en métal comme si leur survie en dépendait.
Si je fais la comparaison, c’est que nous sommes jeudi soir et je viens de terminer ma lecture du ‘Grand dossier week-end’ de La Presse, publié samedi dernier. À lire l’entrevue Serge Bouchard d’Émilie Côté, je serais parmi les rares personnes à trouver les vieux beaux. Mais tellement beaux que j’en viens parfois les larmes aux yeux à les observer. L’anthropologue maintient plutôt que :
Nous sommes à l’époque où nous nions la durée et l’usure. Nous avons acquis un discours fableux qui dit: aujourd’hui nous ne sommes plus vieux, ça n’existe plus. Et si on devient vieux, c’est notre faute (…) Nous n’avons pas de philosophie cohérente face au temps qui passe.
J’ai acheté La Presse samedi dernier justement pour pouvoir parcourir ce dossier. Le 5 janvier, en conversation avec un journaliste, j’avais appris qu’un cahier spécial sur la vieillesse se préparait à la salle de rédaction de La Presse. Dossier qui a enfin été publié le 31. Les journalistes qui y ont collaboré ont eu, donc, environ quatre semaines pour s’enligner, sinon plus. Pour dénicher leur sujet. Pour rencontrer les spécialistes. Foglia a disposé de quatre semaines pour concevoir ses tournures de phrases parfaites.
Je maintiens, jusqu’à preuve du contraire, que l’avenir de la presse imprimée passera par la production de cahiers de ce genre. D’articles étoffés. De reportages approfondis. De cahiers qu’on prendra le loisir de lire, contrairement aux nouvelles qui doivent être consommées rapidement et qui font en sorte que nous sommes de plus en plus nombreux à nous tourner vers l’Internet comme source première d’information, plutôt que d’attendre que le jeune voisin nous livre le journal le lendemain matin.
On ne parle pas ici de ‘breaking news’. Voilà pourquoi je peux me permettre de laisser trainer La Presse sur ma table de salle à manger. De feuilleter mon journal de temps en temps, selon mes disponibilités et mes envies. De lire un article ici, un article là. Ma copie de samedi dernier m’a suivi jusqu’à la baignoire. Essayez donc de trainer votre laptop dans votre bain.
Lundi, cette copie de La Presse se retrouvera très probablement au trottoir, dans mon bac vert. Je sais que la série d’articles signée Émilie Côté et les chroniques de Foglia et de Rima Elkouri pourront toujours être consultées sur Internet, dans les archives de Cyberpresse, un certain temps au moins.
Si la rentabilité d’un journal passe principalement par l’achat d’espace publicitaire, les quotidiens ont peut-être moins à craindre qu’on croit. Tandis qu’autrefois la pub de Nissan à la page A4 et l’avis important de la part de Bell à la page A6 passaient quelques heures seulement à portée de vue avant de passer au bac, elles passent maintenant près d’une semaine sous mes yeux. Une durée de vie plus intéressante. Une valeur qui mérite d’être récompensée? Peut-être. Seule la loi du marché en décidera.
J’avoue que je suis une sentimentale, pas comme les autres. Qui trouve les vieux d’une beauté incroyable. J’aime leurs rides, leurs cheveux blancs, la peau de leurs mains tachée et presque transparente. J’aime leurs histoires. J’aime leur vécu.
Pour l’amour des grands quotidiens, j’aimerais bien pouvoir trouver la solution parfaite qui les permettrait de ‘vieillir cool’.
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