Reflet d’une nouvelle réalité : le journalisme en mutation

Un billet d’Aurélie Alaume m’inspire à sortir de ma torpeur du temps des fêtes afin de publier ce premier billet de 2009. 

Cette semaine, j’ai découpé un article intéressant publié par l’équipe du Journal Le Reflet, un hebdo montérégien. À la page! commente les changements qui paraissent dans la même édition: nouveau format (de 17 à 15 pouces) qui, selon leurs dires, permet au journal de prendre un virage vert (économie de papier, accès à des presses ‘ultramodernes’ qui consomment moins d’énergie).

Faisons abstraction du ‘virage vert’ qui, entre vous et moi, me fait sourire à savoir que les journalistes sont aussi habiles pour positionner les choses que le relationniste le plus chevronné. Dites-nous que ça se fait pour des raisons économiques. Nous la vivons, nous aussi, cette crise économique. Nous aurions compris. Bref, nous comprenons.

Plus important encore, ils profitent de l’occasion pour lancer une nouvelle politique éditoriale. Le journal adapte son contenu afin de répondre:

(…) aux habitudes des lecteurs, qui ont évolué depuis l’explosion d’Internet.

Selon leur analyse, les lecteurs veulent être mieux informés, mais rapidement. Comme quoi l’école Journal Metro, où tout se lit dans l’autobus en traversant le pont Jacques Cartier, a fait du chemin.

Le journal propose donc publier plus de matière de façon plus concise. Ces textes seront accompagnés de:

« tableaux, graphiques et autres éléments visuels pour faciliter leur compréhension »

Je me permets de faire un petit recul dans le temps pour vous raconter une anecdote que vous avez peut-être déjà entendu. Il y a plus de dix ans, j’enseignais l’histoire dans une école privée montréalaise. Je voulais parler du métier de l’historien et, pour le faire, j’ai décidé de demander aux petites de préparer un travail sur l’histoire de leur nouvelle école (elles étaient en Sec I et nous étions le mois de septembre).

Quand est venu le temps de traiter de recherche, je leur ai posé la question à savoir où, au juste, elles trouveraient l’information souhaitée : la fondation de l’école, les premières années etc.

Sans hésiter, elles ont répondu : Sur Internet, Madame.

Vlan! Moi, qui m’attendais à ce qu’on me réponde ‘aux archives’ ou, au pire, ‘à la bibliothèque, moi qui n’est pas de leur génération, je suis restée bouche bée pendant quelques secondes, au moins.  J’ai tout de suite compris que nous étions en plein virage social. Si j’avais à choisir un moment représentant le début de mon engouement pour ce qui allait venir plus tard — les médias sociaux et la démocratisation des blogues — ça serait ce moment là. Fast-forward en 2009.  Ces même « petites » ont maintenant 23 ou 24 ans. Certaines grimpent l’échelle corporative. Certaines sont épouses. Quelques unes sont mères de famille. Elles sont toutes sur Facebook et, j’imagine, bon nombre d’entre elles bloguent. C’est normal pour elles de pouvoir s’exprimer sur Internet. Comme respirer ou manger.

Comme l’Oncle Georges du billet d’Aurélie, elles partagent leur savoir, leurs interrogations et leurs opinions. Elles ne font pas de journalisme. Et celles qui, un jour, suivront le modèle du Huffington Post ou TechCrunch dans le but d’offrir une plateforme dite journalistique, le feront en se collant aux règles de déontologie du métier. Il s’agit d’une question de crédibilité. Si jamais elle s’y éloignaient, les lecteurs seraient les premiers à le dénoncer. Car un blogue, contrairement à un journal (traditionnel, on se comprend) se commente facilement. Il n’y a pas de choix éditorial fait par celui qui reçoit et publie le courrier des lecteurs.

Dans sa chronique, Christian Roux du Devoir décrit la situation actuelle de façon … ose-je le dire … presque hystérique, écrivant:

(…) si le zappage numérique devait remplacer la lecture du journal et à plus forte raison du livre, cela se ferait au prix d’une grave régression intellectuelle dont nous commençons à sentir certains effets.

Il me semble que c’est évident que la perte de toute source d’information appauvrit la société. Mais si on commençait à positionner les blogues comme bonifiant au lieu de menaçant la presse et la littérature?

Les enseignants savent que les étudiants qui on devait pousser dans le dos, autrefois, pour rédiger le moindre texte adorent bloguer et produire des vidéos pour YouTube. Ne parlons même pas d’outils de recherche qui, à notre époque, se limitaient à la bibliothèque locale souvent mal approvisonnée.

Et qui dit que cette nouvelle réalité ne nous poussera pas, nous, messieurs et mesdames tout le monde, à devenir plus critiques envers nos sources d’information? Qui dit que nous ne serons pas mieux informés, les sources d’information nous provenant de partout? Car, peut-être au grand regret de M. Roux, je ne lis plus _seulement_ Le Devoir, mais également le Jerusalem Post et le Palestine Times pour suivre ce qu’il se passe à Gaza.

N’oublions pas, non plus, que rien ne m’empêche de publier et de vendre, demain si je le veux, un journal imprimé sur papier. Il n’y a pas d’ordre du journalisme. Si Falun Gong peut le faire, je peux le faire, moi aussi. La différence est le moyen dont je dispose pour y arriver, car comme la majorité de la population, je n’ai pas facilement accès à ces fameuses presses ‘ultramodernes’.

Mais j’ai accès au blogue. Vive la démocratisation de la transmission du savoir et des opinions.

Car voilà la vraie révolution, M. Roux. Pas au niveau du contenu mais dans l’accès aux outils de transmission .. de nouvelles, d’opinions, de faits. Dans les nouvelles options de partage qui s’offrent dès lors au commun des mortels.

Je suis attristée de constater que les hebdos comme Le Reflet se voient dans l’obligation d’offrir des capsules plutôt que des articles de fond, car, pour moi, la valeur du journalisme traditionnel repose dans sa capacité d’offrir une vue d’ensemble et une analyse approfondie d’une nouvelle. Les journalistes ont définitivement un rôle très important à jouer dans notre société et, que nous soyons friands des médias sociaux ou non, nous devons tout faire pour protéger le 4e pouvoir, qui représente la liberté de notre société.

Il est certainement vrai que les médias devront s’adapter aux nouvelles réalités. Je mettrais ma main dans le feu qu’à l’époque où s’allumaient les télés, un débat semblable règnait. C’est un question de pouvoir et de contrôle – difficile de lâcher prise. Malgré le fait que certains se plaignent, l’impact se voit déjà. Au delà de la décision stratégique de journaux comme Le Reflet, nous savons que The Gazette demande de plus en plus de polyvalence de la part de ses journalistes, qui se déplacent plus seulement avec leur carnet de notes mais également munis d’une caméra vidéo. Le rapprochement signalé par l’intégration de l’équipe de Cyberpresse à l’étage où se trouvent les journalistes de La Presse est le reflet d’un constat général, comme quoi les liens entre le Web et l’imprimé doivent davantage se tisser.

Les journalistes les plus futés sauront s’adapter et briller autant qu’avant.

Si vous ne connaissez pas Aurélie Alaume, je vous invite à suivre son blogue. Aurélie et Sophie Labelle sont des étoiles montantes dans l’univers des blogueurs francophones en RP.

Comme c’est le cas du billet d’Aurélie, mon premier billet de 2009 est très long. Merci à ceux et celles qui ont eu le courage de me lire jusqu’à la fin. Je vous en remercie profondément. Nouvelle tendance, ces billets interminables? On verra. C’est certain que je veux prendre davantage le temps de réfléchir cette année, et de partager avec vous les fruits de cette réflexion.


6 réponses à “Reflet d’une nouvelle réalité : le journalisme en mutation”
  1. Avatar de Aurélie Alaume

    Merci Michelle, je suis toute gênée. Mon article n’est pas si bien construit que le tien ou encore celui de Mario Asselin (http://carnets.opossum.ca/mario/archives/2009/01/blogue_societe_rioux_devoir_apprendre.html).

    Une chose est certaine un outil de plus ça peut faire mal, ok, mais ça ouvre de nouvelles portes. Je me souviens que ma grand-mère me disait il y a quelques années: » Dans la société aujourd’hui les gens ne se parlent plus, il n’y a plus d’échanges ». Cela n’est plus vrai aujourd’hui.

  2. Avatar de Sophie Labelle

    Très bon billet Michelle. Il y avait longtemps que tu n’avais pas autant laissé aller ta plume ! Aurélie et toi, vous frappez dans le mille avec vos réflexions. J’ai lu aussi l’article du Devoir via Twitter cette semaine et j’en étais bouche bée. Surprise quoiqu’en même temps, ils sont nombreux ces gens qui pensent qu’autrefois tout était bien mieux (lorsque la Terre était plate) et qu’avant les jeunes savaient écrire… Ah ce bon vieux temps.

    Est-ce que j’aurais pu t’avoir comme professeure au secondaire Michelle ? ;o) Je me souviens moi aussi avoir découvert Internet à l’école, d’avoir effectué des tonnes de recherches pour mes travaux sur ce médium. Les professeurs ne bannissaient pas cet outil, mais ils nous encourageaient souvent à diversifier nos sources d’information. Ils nous apprenaient à comparer, à remettre en doute ce qu’on pouvait lire, sur Internet, mais aussi partout ailleurs. Ils nous apprenaient à développer notre esprit critique. C’est là le nerfs de la guerre. Peu importe d’où vient l’information, il faut se questionner, aller voir ailleurs, approfondir. Ce n’est pas le type de sources qui est à décrier (par exemple le Web) mais la façon dont les gens s’en servent, ceux qui manquent de jugement. Ça se développe tout ça et pourquoi pas dès notre plus jeune âge, à l’école…

    Je suis donc de ces jeunes adultes pour qui le Web est une source privilégiée d’information de par son immense diversité. J’ai aussi découvert que j’adore bloguer. J’apprécie cet exercice d’écriture d’un billet où l’on revient un peu à nos années scolaires, où l’on doit produire un contenu de qualité et approfondir un sujet. Est-ce le Web qui m’a fait autant aimé l’écriture ? Je ne pense pas. Je pense toutefois que c’est sur le Web aujourd’hui que j’ai le plus la possibilité de me laisser aller à cette passion. J’ose être qui je suis et j’apprécie pouvoir le partager avec vous tous.

    Et merci Michelle pour « l’étoile montante » soit dit en passant ! :o)

  3. Avatar de Cédric

    Si je suis évidemment d’accord avec tes propos, je me demande toujours quel est le rôle d’un hebdo comme le Reflet. On y retrouve des informations très générales sur des sujets de société, provincial ou fédéral. Le but d’un hebdo de proximité serait plutôt selon moi de parler des enjeux locaux et d’aller plus en profondeur sur les décisions locales…
    Pourtant, alors que j’habite à Sainte Catherine, ville qui compte dans le secteur du Reflet, je n’ai jamais vu un journaliste à un seul conseil municipal en 2 ans.

  4. Avatar de Martin Lessard

    Michelle, comme tu nous forces à lire « des longs billets sur Internet », tu participes à ma « régression intellectuelle » 😉

    Il existe un autre type de lecture sur écran qui est évidemment différent que sur papier.

    Ce que j’aime de la blogosphère et de ses dérivés c’est ce « partage des stratégie de vie »: on écrit pour partager ce que l’on pense et vit. On partage nos stratégies pour se débrouiller ici-bas. On se dit tout haut ce qui se passait avant entre les deux oreilles ou dans une seule pièce.

    Donc on ne fait pas la même chose à l’écran et on n’exige pas la même chose au journaliste. Le journal Reflet est mort car il est devenu un « Metro ». C’est devenu un simple agrégateur de RSS papier…

  5. Avatar de Catherine G.N. Marcoux

    J’avais justement une courte discussion avec mon père au sujet des blogues. Alors qu’Internet est inné dans mon cas, pour lui, il est beaucoup moins évident de garder un blogue à jour. Et comme vous l’avez dit, les jeunes ont maintenant un blogue, un compte Facebook… au minimum! Il ne faut pas oublier tous les forums, les sites web qui regroupent des personnes ayant des intérêts communs (DeviantArt par exemple). Je ne serais pas aussi étonnée d’apprendre que la grande majorité d’entre nous avons plus d’un blogue, traitant chacun de sujets différents.

    Je vais aller dans le même sens que Sophie sur la critique : avec la multiplicité des sources d’information, mes professeurs nous avaient rapidement appris à être critique envers nos sources d’information, de s’assurer d’en avoir au moins deux qui allaient dans la même direction, etc. Au cégep, un de mes professeurs est même allé un peu plus loin en nous parlant de « pseudo-sciences » et en nous faisant écrire un texte dont le contenu serait douteux.

    Bonne année 2009! 😉

  6. […] Sullivan : Reflet d’une nouvelle réalité : le journalisme en mutation« Et qui dit que cette nouvelle réalité ne nous poussera pas, nous, messieurs et […]

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